J'ai fait un BTS action commerciale après une année de management du sport, que j'ai quitté en cours d'année pour créer le magazine. J'avais vingt piges je crois. C'était il y a dix ans.
Durant ces dix dernières années j'ai fait un peu tout et n'importe quoi, j'ai monté une ptite marque de vêtements, puis un shop de skate, créé des contests et un festival... tout ça pour arriver aujourd'hui à la même situation qu'à vingt ans, c'est-à-dire bosser à plein temps pour le magazine.
Question 1: Quelle a été la démarche de création de Desillusion magazine?
Je suis né dans un village paumé du 06, non loin de Cannes et ses paillettes. Autant dire que la seule chose qui me sortait de mon quotidien c'était les magazines. Je crois que plus jeune j'étais abonné à tous les mags qui existaient sur les boardsports, et les attendaient/dévoraient tous. Du coup quand j'ai eu dix-huit piges j'ai commencé à créer des fanzines photocopiés, je suis allé voir le skateshop le plus proche de chez moi et lui ai vendu une pub. J'ai pu, avec cet argent, distribuer le mag à plus grande échelle (10 ex). Puis j'ai eu deux pubs...etc.
A l'époque le magazine était en format A5 en noir et blanc gratuit. Il ne parlait que de mes potes et de ce qu'il nous arrivait en soirée. C'était un mag conçu et créé pour qu'on le lise... nous( Rire).
Mais avec le temps, l'expérience, et la maturité, le mag s'est peu à peu affirmé, a grandi, trouvé sa ligne rédactionnelle, puis est passé à un niveau régional, enfin national...
Question 2: Depuis quelques années, les magazines de skate ont évolué, passant de magazines montrant seulement la partie purement sportive à des magazines plus épurés, plus esthétiques et graphiques. As-tu ce sentiment-là? Si oui, quelle est ta vision de cette évolution?
À vrai dire j'ai l'impression inverse. Rien n'a changé. Du moins, moins vite que je l'espérais. La plupart des magazines de skate/snow/surf ont connu leur période faste de fin 90 jusqu'à il y a trois ans, du coup ils ne se sont pas trop remis en question-c'est mon avis. Ça marchait, alors pourquoi changer, et pire...pourquoi ne pas rester sur ses acquis?
Du coup les mags ont vendu du trick, des reports faciles, comme le feraient les produits laitiers... à base d'adrénaline and Co. Sans univers, sans véritable état d'esprit. L'action pour l'action. Puis il y a eu ce fameux stake magazine, Chill. Un gros pavé dans la marre. Pour moi, ça a été comme une révélation, c'était le futur des mags. Faire de la quali, avec des photos et reports poussés et bien plus: avoir un univers. Vendre quelque chose qu'on ne te vend pas sur Internet. Au-delà du trick. Un projet artistique sous forme de magazine. Un magazine comme un film, où à sa manière, tu rentres dans un monde, voyages, ris, pleures...passe un bon moment.
Voilà ce qui pour moi, donne et donnera envie aux gens, aux kids, de traverser la rue, aller dans son kiosque et dépenser des thunes. L'info pour l'info, ça ne suffit plus...Internet le fait très bien à notre place.
Question 3: Vois-tu le skate comme un mode de vie, au-delà de la simple pratique du sport en tant que tel?
Le skate, snow, surf, depuis les premières ollie, take off et drop, se sont différenciés des sports conventionnels par cette volonté affichée d'être libre et d'outrepasser les règles. La mode, l'art, la musique, font aussi partie intégrante de notre culture.
Ce ne sont pas des sports! On ne juge pas un skateur à ses tricks ou à son " taux d'adrénaline", un peu comme le rock on ne juge pas les groupes à leur dextérité. Jimmy Hendrix ayant autant contribué au rock que Kurt Cobain, l'attitude comptant des fois plus que tout.
Pour moi, avoir une board sous les pieds et jouer avec la neige, les rues, les vagues est un art, qui se prolonge dans notre quotidien. Un lifestyle où se mêlent mode, graphisme, photographie, musique, et action.
Question 4: Quel est ton sentiment sur le fait que l'on entend de plus en plus parler de la diminution des ventes de magazines presse au profit d'un développement de magazines web ?
Il ne faut pas se tromper de débat. internet c'est l'instantané, la daily news, les vidéos buzz etc. En ça, Internet a pris la place des magazines et plus particulièrement des newspapers. Par exemple, si une bombe explose, Internet va proposer la news en premier, par contre le rôle du magazine est d'analyser le pourquoi du comment de cette bombe, travailler plus en profondeur, envoyer des photographes, les meilleurs, et proposer un reportage pointu, un mois après, pour le lecteur, confortablement assis dans son canapé, train etc.
Je fais souvent le même parallèle avec le cinéma. Quand la TV est arrivée on a cru que le cinéma était dead, aujourd'hui ils battent encore des records d'entrée grâce à la 3D, et à certains films léchés. Il faut que les mags en prennent conscience, changent, évoluent, et proposent un contenu alternatif qui donnera envie aux gens-je me répète..." de traverser la rue, aller dans son kiosque et dépenser des thunes".
Mon meilleur exemple est Desillusion magazine ces deux dernières années nous avons doublé nos ventes.
Desillusion a un univers fort, et nous voulions le montrer. Aussi nous étions frustrés de voir toutes ces pépites vidéos sur le Net que l'on ne pouvait pas coucher sur le papier, alors nous avons conçu dslmag.com comme un patchwork visuel. Comme un cahier de tendances. On a d'ailleurs appelé le site "This is Desillusion". Le but avoué est d'inspirer un maximum de monde, de donner envie aux internautes de peindre, faire des photos, vidéos ou tout simplement aller rider. Aussi, c'est un bon moyen de montrer à tous, que le skate/snow/surf n'est pas un sport, mais bien plus que ça et qu'il regorge de créatifs/artistes.
Dslmag.com est vraiment le complément de Desillusion magazine et a pris une part importante dans notre rédaction.
(Rire) Compare le Desillusion magazine à ce qu'il se fait en kiosque, le ton, l'écriture, les photos... Notre univers est fort, trop des fois pour certains confrères ou bizznessmen, qui aimeraient vendre le surf/skate/snow comme un sport...comme du foot. Donc oui on est étrange parce qu'on ne marche pas sur le passage clouté comme tout le monde, mais juste à côté, une board sous les pieds.